Raid in France. Le raid le plus engagé et difficile auquel j’ai eu le plaisir de participer.
La reine des aventures en métropole.
Son format: ARWS. 4 lettres qui en disent long: Aventure, Une coupe du monde, 5 jours non-stop,…
366km, 13000m de dénivelé positif.

Sans assistance, la formule est plus proche de l’expédition engagée que d’un format « raid nature » aseptisé.

Une épreuve hors normes qui laisse rêveur.

Les chauds patates auraient aimé s’engager tous ensemble sur cette belle aventure. Malheureusement nous n’avons pas tous les moyens d’affronter la barrière financière, si petite soit elle.
Aucun partenaire ne nous a encore fait confiance sur ces aspects.
Une solution nous a été offerte, mais il était trop tard pour se mobiliser.

Alors que la plupart des équipes engagées présentaient déjà leur matériel au PC course de Buis Vendredi, je (Gaët) trainais sur le live de la CCC.  C’est alors que je reçois un appel: Julien Moncomble.
Il n’est pas difficile de comprendre de quoi il retourne. Le grand Adrien Lhermet s’est fait bobo en canyon, il est forfait.
Les Xbionic Raidlinks sont orphelins, ils cherchent désespérément la perle rare.
Pour moi c’est l’occasion rêvée de participer. Après que je me sois déchargé de tout engagement dans l’équipe bénévole, je cours préparer mon sac.
2h pour préparer un raid de 100h, c’est un peu juste mais avec l’expérience ça va vite.

Un peu après midi, Julien me rejoint à Grenoble. Nous partons ensemble faire les courses. Et quelles courses…

caddie de folie

En mode gros sacs

Je n’ai jamais eu un caddie aussi scandaleux. Bonbons, friandises, cacahuètes, sodas, chips, … tout y passe. La démesure de Raid In France commence.
Nous affrontons l’orage jusqu’à la voiture puis sur le trajet de Grenoble vers Bellecombe-Tarendol où gîte et couvert sont réservés.
Je rencontre Alex et Marie qui complètent notre équipe.
On se couche rapidement, la journée du lendemain s’annonce chargée.

Chargée ? le mot est faible. Vérification du matériel obligatoire, test descente en rappel et remontée jumar, briefing, préparation des 2 bidons de 50L accessibles 2 fois en 100h… La journée est avalée toute crue, sans prendre le temps de mastiquer quelque morceau que ce soit.

mon sac et affaires de course

mon sac et affaires de course

Pour moi, un grand moment. J’ai l’habitude de préparer minutieusement à l’avance toutes mes courses. Pour la plus compliquée et longue de toute, je suis venu les mains dans les poches. Je réalise petit à petit l’ampleur de l’événement et de l’épreuve qui nous attend.

Au gîte, samedi soir, j’ai le ventre noué. J’ai peur de prendre le départ. Peur de cette épreuve hors normes, peur de ne pas résister au manque de sommeil, peur de mes camarades de jeux que je ne connais pas encore, peur de décevoir. Ne suis-je pas totalement inconscient ?

Le réveil sonne à 4h45. On ne peut plus faire demi-tour.
Depuis Buis-les-Baronnies, des bus nous emmènent vers le lieu du départ, encore secret.
Dans le silence les athlètes se concentrent, se reposent.
C’est vers 8h30 que nous arrivons enfin, au bord de l’eau à St Nazaire en Royans.

10h27, les 92 embarcations qui font front s’élancent vers le sud. Sur l’eau la bataille fait rage.

© Raid In France

Julien et moi restons en retrait pour garder de l’énergie.
Notre départ prudent nous oblige à patienter un bon moment au niveau du portage. On aperçoit déjà les premiers sur l’eau au loin. Rudy et son équipe ont pris un gros départ.

La suite du canoë est plutôt monotone et franchement longue. Avec Ju on a presque l’impression d’être à fond. Heureusement on en termine finalement entier.

A la sortie des bateaux, nous avons le droit à un petit trek. Je découvre. Trek en fait ça veut dire « vitesse de progression inférieure à 5km/h ».
Pour l’instant, l’orientation est facile : « suivre le lit du torrent ». Back to nature ? ah oui je comprends mieux.


Loin de la tête, le cheminement est plutôt limpide. On arrive aux vélos sans bobos.

Ici les transitions sont loin de celles de nos amis triathlètes. On commence par monter les pédales, installer les portes cartes, poser les systèmes de traction… un vrai chantier.
Cette première transition est plutôt rapide cependant, nous voilà repartis.
En selle, et moi le nez sur la carte. Et quelle carte ! 50 millièmes. En 1cm il y a 500m. Or on avance jamais bien vite. Donc une A3, y en a pour la demi journée!
Je ne sais pas si j’avais imaginé devenir le dieu de la 50 mil à la première lecture, en tout cas ce n’est pas du tout ce qui s’est produit ! J’embarque notre valeureuse équipe dans un traquenard au premier virage. Ils ne réalisent pas trop. J’essaie de me ressaisir.


Le roadbook est une pièce capitale de progression. Il contient les conseils de progression mais aussi les routes et sentiers interdits. Une centaine d’heure c’est tout juste assez pour comprendre tout ça.

Ce premier VTT c’est donc une grande blague. Après la première « petite » connerie, vient un choix difficile. Il faut monter sur le Vercors, et deux cols s’offrent à nous. Je choisis celui de droite, avec une bonne portion de route, rentable à mon goût. Arrivés au pied, on s’aperçoit que la route convoitée est interdite ! Avec cette considération, le doute n’était pas permis: il aurait fallu passer par le col de gauche.

la descente était bien belle

le raid commence

le raid commence

Notre option coûteuse est tout de même avalée non sans mal et nous voilà enfin du bon côté de la barrière calcaire. La carte est toujours imprécise, je n’arrive pas à interpréter correctement les informations du roadbook. On se retrouve une nouvelle fois à jardiner. A ce stade, il est légitime de nous imaginer au fin fond du classement. C’est sûrement le cas.
De quoi décourager n’importe qui. Mais c’est un raid de 100h, on en a pas fait 10, il ne faut pas baisser les bras.
Mes erreurs nous coûtent cher, mais elles me font progresser, ça ira de mieux en mieux.

On rejoint le col de la Bataille, le soleil se couche. Alors qu’on fait une pause pour manger, on est rejoint par deux équipes. Cela redonne le moral. On rigole de leur bocal de pâté en verre, on est fans (et bien à la rue en effet ^^).

C’est pas du pâté, c’est de la mousse de saumon !

Ha, pardon ^^

vous la voyez la boite de paté?

vous la voyez la boite de paté?

Ayant profité de la pause pour installer les lumières, nous attaquons la nuit avec un bon rythme.
Jusqu’au CP de Font d’Urle, tout roule. On y apprend qu’on a 4h de retard sur la tête. Pas étonnant.
Le moral est revenu, on roule bien. Je néglige complèment l’arrivée de la nuit et ma non-expérience sur ce type d’orientation. Nous voilà donc partis pour un détour gratuit offert par bibi.
Ma boussole sort de ma poche et s’installe au chaud dans mon porte carte. Le réflexe de son utilisation fait lui aussi sa place, dans un coin de ma tête.

Nous empreintons une partie des chemins du soleil, de nuit. Les sentiers sont extrêmement engagés et difficiles.

Je ne fais heureusement plus de grosses erreurs mais je suis fatigué des précédentes. Je laisse la carte à Julien pour la fin du VTT et me recentre un peu. Quel début catastrophique…

Ju se débrouille bien. Il est concentré à l’approche de la balise 10. « C’est une ruine. elle est remarquable car il y pousse un grand arbre mort qui dépasse de la forêt.  » voilà ce qu’il fallait retenir du briefing.
A son approche, on croise des équipes en sens inverse. Elles abandonnent ?! La densité de concurrents se fait plus forte à son approche.
Ju trouve le bon point d’attaque et nous voilà donc sur zone très rapidement.
Ju et Alex sont motivés et montent la chercher au dessus. Je choisis donc de prendre moi aussi de la hauteur et pars plus à droite pour rechercher l’arbre particulier. J’ai fini la partie haute j’attaque seulement la partie basse quand Ju nous rappelle, il l’a trouvée.

Sortir de la zone n’est pas une partie de plaisir car on est tous un peu désorientés. On finit quand même par trouver le chemin grâce aux bruits de freinages d’autres concurrents alors que le jour se lève.
Grâce au sérieux de Julien sur cette balise difficile, on revient dans la course. Les derniers kilomètres avant l’arrivée du vélo sont magnifiques. Mais la progression est lente et les coups de pédales trop rares.


On boucle le VTT1 en 21h pour 88km.

Nous voilà partis sur la 4ème section, après 24h de course. Trek-Spéléo-Canyon. Les sacs sont lourds mais ça fait du bien de ne plus avoir le vélo à trimbaler.
La première balise est une cata, on la cherche 50 à 100m de dénivelé trop bas. On rejoint ensuite et finalement la grotte. 1h30 neutralisée.
Malgré une carte facile à lire, pas évident de faire son choix d’itinéraire dans ce dédale.
Le « bon » chemin passe par une remontée de faille bien étroite. Ambiance…

© Raid In France

A la sortie, Alex imagine une stratégie du tonnerre.  L’idée est de se changer pour le canyon dans le temps de pose. On est déjà juste pour la porte horaire de 19h à la fin du canyon où on retrouve nos bidons.
Le plan met un peu de piquant à notre course. C’est dans une orientation efficace que j’accompagne l’équipe jusqu’au départ du canyon. On coiffe sur le poteau les anglais de « Accelerate » qui s’équipent.

Le canyon est ludique et facile. Les rappels s’enchainent.

 

Marie dans le canyon

On arrive finalement aux bidons à 17h15. On a donc 1h45 pour en repartir avant la porte horraire.

La plage est exiguë, pas beaucoup de place pour s’étaler. Même en se pressant pour se changer, remonter les vélos et se restaurer, on passe 1h30 à ce point. Julien m’explique qu’une équipe tourne mieux quand il y a un leader qui pose des limites et entraine le groupe.

Avant que la porte horaire ne s’abatte sur nous, nous voilà repartis à VTT. Le rythme et le moral sont bons. La nuit tombe doucement. La deuxième nuit.

lever et coucher de soleil, des sacrés moments

Je passe un long moment à discuter avec Alex. Le temps passe vite et l’orientation est fluide.

On s’embale un peu physiquement alors que Marie et Julien accusent un peu le coup du sommeil.
On choisit de faire une mini sieste de 10min. Je n’ose pas fermer l’oeil, de peur de rester vaseux. Je suis bien reveillé j’en profite.
On repart. N’ayant toujours pas compris le principe du road book, je m’obstine à essayer de le suivre à la lettre.
J’ai l’impression qu’une épée de Damoclès nous menace, ou que les petits hommes verts nous regardent et vont nous pénaliser si on fait pas bien!
Suivre les traces d’animaux vers le sud ? Je trouve que ces conseils n’ont aucun sens. On finit par arrêter de les suivre et couper.
On arrive finalement sur le CP par une pente très raide qui réveille dangereusement ma blessure. Une tendinite du releveur datant de l’aventure Aveyronnaise. Les bénévoles du CP sont de vraies crèmes. Elles nous indiquent la suite de l’itinéraire.
Malgré leurs indications, on jardine un peu. Faut dire que « vous verrez deux cairns, derrière on dirait un fossé mais en fait c’est le chemin » c’est quand même un peu vague…
Arrivés aux deux cairns, effectivement derrière ça fait pas rire : on dirait du 4 en ski, il faut descendre avec le vélo en travers de la pente pour ne pas tomber.
Nous voilà au CP proche de la route nationale. Il nous reste 2h30 pour passer la porte suivante. C’est jouable, mais il ne faut pas dormir.
Je le sens pas. Le sommeil ça va, mais la tendinite me lance, j’ai envie de finir et de mettre toutes les chances de notre côté. On prend 2h, tant pis pour le classement. (Il faut obligatoirement prendre 8h de repos avant la fin, par tranche de 2h mini).

Alors que les copains essaient de monter la tente, je me planque à l’abri du vent dans un fourré, grignote un bout et règle ma montre. Tu as 1h30 mon grand, bonne nuit.
J’ouvre les yeux juste avant que le reveil ne sonne. Le temps de ranger et de me changer car je me suis bien refroidi, cela fait presque 2h qu’on est ici.
Mes 3 équipiers dorment profondément enroulés dans la toile de tente à même le sol.
Je les réveille.

Il ne reste pas beaucoup de vélo avant la section suivante. Je fais une mini bêtise avant la fin, pas trop coûteuse. Les 50 mil commencent à me parler.

Au départ du trek, un feu nous fait du bien. On rencontre Lozère Sport Nature qui ont abandonné sur la section suivante. Coup dur au moral.

L’orientation est facile, j’insiste un peu pour qu’Alex prenne la carte. Il s’en sort très bien et découvre l’échelle hors du commun avec le sourire.

Le rythme est bon dans une longue ascension hors sentier. Seul notre manque d’organisation nous ralenti : un arrêt toilette, deux arrêts pour manger, …
Le sommet approche alors que le jour se lève. L’instant est juste magique. On croit rêver.

Arrivés au CP de la barrière horaire, Alex et Marie sont ravis de rencontrer deux amis qui sont bénévoles. Après une courte pose nous partons sur le parcours de replis. Seules 7 équipes ont passés cette barrière.
Je rage un peu intérieurement. C’est dur de ne pas être à la hauteur.
Il va maintenant falloir se battre pour une place dans les 10. Il faut ranger un peu cet ego et se remettre dans le contexte. Une course hors du commun, une première expérience, une participation de dernière minute…


Je profite du plat pour manger sucré, salé, … en quantité.
A la première balise de l’itinéraire bis, un ruisseau, nous permet de faire le plein d’eau.


La descente qui suit est difficile pour ma tendinite, mais je sers les dents, je sais que le vélo et le canoë qui suivent lui offriront un peu de repos.
La route est encore longue jusqu’à la transition mais on avance bien. On se permet même de courir un peu quand ça redescend.
On rattrape les Anglais de Accelerate qui ont loupé le sentier partant discrètement à flanc.

Aux vélos c’est la pause petit déj pour moi. Le temps pris à me restaurer me met un peu dans le rouge et les autres m’attendent.
Une fois en selle, mon choix d’itinéraire un peu précipité n’est pas judicieux. En effet, après 30minutes de galère dans les bois, le chemin disparait et nous sommes obligés de rejoindre le second itinéraire, un peu plus bas.
Encore un chemin très engagé, difficile à négocier après 50h de course.

engagement permanent

La balise dans le Buech est trouvée facilement par une Marie survoltée/oeil de Lynx.
Au niveau de la traversée de la nationale (les pieds dans l’eau sous un pont), nous sommes groupés en 9,10 et 11ème position avec les Anglais de Accelerate et Lafuma.
Je prends les devants en orientation et perd un peu nos 3 équipes dans les ronces avant de finalement trouver le départ du chemin bien planqué.
Je me laisse ensuite embarquer par le balisage terrain et nous offre une très belle montée sur sentier non carté. (sur l’autre rive c’est une route :/).

vitesse réduite

A la sortie on retrouve les Anglais passés par la route.
On débarque dans un village de Hippies un peu chelou. Alex est allé remplir ces bidons dans la cuisine de Gargantua pleine de cuisses de poulet en sauce. Il s’est trouvé mal à l’aise sous le regards de jeunes femme souriantes…

On lâche les Anglais et on attaque un bout de GR bien raide. Les poste-à-poste sont gigantesques mais le vélo assez roulant. La fatigue est présente et l’énergie un peu diminuée. On partage un bon bout de la section avec Lafuma, tantôt à discuter, tantôt à jouer au chat et à la souris.
En fin d’après midi on se régale d’un single hors du commun.

aérien vous dites?

Lafuma en chasse

Ca sent la fin de section. Cependant mon manque d’habitude sur l’échelle me donne mauvaise interprétation des itinéraires. J’ai hate d’arriver et de pinailler si proche de la fin me fatigue. C’est un peu la jungle, il faut passer sous des troncs, souvent descendre du vélo pour ne pas risquer d’en tomber… Heureusement on finit par rejoindre le « bon » itinéraire et rapidement après le CP.
Avant les bidons, il nous faut traverser un bout de rivière où on récupère les oranges de Lafuma qui jardinent un peu.

le soleil se couche

On arrive enfin au bidon. Fin de cette petite section de 50km qui nous aura pris la journée !
On prend 2h de sommeil pour avoir le temps de préparer les affaires (dormir ? pour quoi faire !)

Démonter les vélos, se changer, faire les affaires pour la suite, se préparer à la nuit dans le canoë qui nous attend… et manger un morceau. Pour moi un petit lyoph « hachis Parmentier » bien agréable.
On avait zappé une section. Après le canoë il y a une section de trek qu’on avait oublié… Comme on réalise ça un peu tard on déborde sur nos deux heures pour réorganiser les choses.

Nous voilà finalement embarqués sur les canoës. Mêmes équipes qu’au départ de la course il y a… 3 jours déjà.
Alex nous donne des conseils de pilotage. Malheureusement le niveau est bas et la navigation de nuit difficile.
Notre champion s’use moralement. Pour un kayakiste c’est très frustrant de devoir sortir du canoë pour pousser.
Moi je prends mon mal en patience, je sais qu’on en a au moins pour 5h.

On rattrape Lafuma partis un peu avant nous. Ils cherchent le CP bien trop tôt. Il faut dire que ce n’est pas facile d’orienter en eaux « vives ».
Ju et moi nous laissons effrayer par un castor farceur. L’ambiance est bonne dans notre bateau.
Nous décidons de ne surtout pas nous arrêter dormir au CP du milieu, comme envisagé. Il fait froid et il nous serait impossible de repartir après la pause.
Un peu plus loin, j’aperçois une 3ème frontale accompagnant celle d’Alex et Marie. Julien lui pense à une camera de nuit… bonjour les hallus !
En se rapprochant on découvre nos camarades échoués et endormis sur la rive !
Nos cris ne suffisent pas à les réveiller. Ils sont vraiment terrassés par le sommeil.
Ju et moi prenons les choses en main, chacun aux commandes d’une embarcation. Nos deux passagers alternent coup de pagaie et sommeil.

Je vois une immense maison aux volets rouges le long de la rivière. Pourtant, à sa hauteur, il n’y a rien que des arbres.
Julien crois descendre des rapides jonchés de pierres, mais ce ne sont que les clapotis de l’eau.
Alex lui verra un serpent se dresser sur l’eau. Une branche morte sans doute.
Sacrée ambiance.

Seb et Sonia sur la même section, de jour. © Raid In France

La navigation n’est pas facile, je fais de mon mieux. On avance groupés. La section est vraiment interminable, intemporelle et hors du temps.
Le CP n’arrive jamais, je crois l’avoir loupé, je nous crois perdus… A moi pour qui le canoë est une vraie plaie (j’exagère à peine) là c’est vraiment dur.
Le moral est en berne. On croit voir des frontales au loin, mais ce ne sont que des mirages, il n’y a rien… le temps s’étire…
Heureusement on finit par avoir vue sur les flammes salvatrices. Celles du feu de camp de l’arrivée.
On prend 2h pour dormir. Et c’est pas du luxe.
Il y a Nelly, la femme d’Alex. Elle est là pour nous encourager. Elle en profite pour nous donner les messages du net que personne ne nous a distribué jusque là.

On est mercredi matin, le jour s’est levé. Déjà 70h de course, 3h de sommeil.
Nous voilà repartis pour un bon trek.
On rattrape nos amis de Lafuma. Deux fois.
On passe un pas très raide et sauvage à l’approche non évidente. C’est Ju qui tient la carte.

dré!

Sur les crêtes on change de carte. C’est toujours un moment délicat car elles ne se chevauchent souvent pas ou très peu.
On regarde ensemble. Il y a deux becs très ressemblants, chacun sur une carte. On les confond facilement.
On cherche donc le CP corde un « bec » trop tôt. Le temps perdu n’est pas très important, mais à ce stade de course il faut encaisser.
Lafuma en a profité pour repasser devant.
On arrive finalement au CP. Je force un peu la pose : parti avec les chaussures trempées du canoë, mes pieds ont soufferts sur cette section, ce n’est pas très agréable de marcher.

Le rappel fait 70m. Il est pendulaire et impressionnant.

vue d'en bas

© Raid In France

La sortie de l’atelier se fait à l’aide de cordes fixes. Cette portion est encore bien engagée. On finit par une descente « en vrac » dans les genêts. Il fait chaud. Heureusement il y a de l’eau au CP transition.

Montage vélos, hydratation, restauration. Chacun prend un peu son temps, à ce stade le confort est primordial.
Un bénévole nous laisse penser que la barrière horaire de 19h, quelques CP plus loin, est jouable.

Nous voilà donc repartis alors que les Lafuma « consomment » leurs dernières 2h de sommeil obligatoires.
Alex a du mal à s’alimenter et essaie de se faire vomir. Rien ne passe mais il garde la motivation.
Un CP plus loin on retrouve Elo, la copine de Julien. Elle nous suit depuis que son équipe a dû abandonner (piqure d’abeille pour un allergique).
Des petites erreurs nous ralentissent. J’ai la carte sous les yeux et le chemin qu’il reste à parcourir jusqu’à la barrière de 19h me semble gigantesque. Ce découragement se traduit par un relâchement et une nouvelle erreur. Arrivé à un petit col, Julien craque.
Fatigué comme nous tous, il ne comprend pas les réactions de Marie à son égard. Les discussions enveniment les choses. C’est pourtant important que l’on aille tous de l’avant. C’est la dernière section il faut se serrer les coudes. L’émotion est difficile à contenir, même pour des mots simples.
On repart calmement.

Le chemin est vraiment beau.
Pour ne pas avoir l’impression de trimbaler tout le matos pour rien, je décide de pincer un coup la chambre arrière, savoir si on est capables de réparer… 🙂
Nous avons abandonné l’idée totalement utopiste (et depuis le départ vélo) de passer la barrière horaire de 19h. On reste concentrés car il y en a une seconde au même endroit à 22h.
Un CP avant cet objectif, la pluie et la nuit tombent. Je ne trouve pas le début du chemin, rien qui me convienne. Je décide de prendre la route « interdite » sur une partie du trajet. Passer la barrière horaire devient ma priorité. (2h de pénalité sur le classement).
Dans la descente finale, alors qu’il nous reste 30 minutes, je me laisse embarquer par une piste non cartographiée qui à la même direction que le chemin à suivre. Prudent, comme il fait nuit, je décide de faire demi-tour retrouver le bon chemin. Pour moi c’est trop risqué, de nuit, d’explorer cette piste jusqu’au bout.
Pour revenir sur le bon chemin la piste est infinie. La fatigue prend le dessus sur mon self contrôle. Je cours, je gueule, je chiale… Je ne veux pas louper cette porte horaire, je ne veux plus me battre pour notre place dans le top 10.
Heureusement je retrouve finalement l’embranchement discret et avec lui le route vers le CP.
Mes coéquipiers n’ont pas trainé derrière, ça devrait le faire.
Mon accu d’ultra est vide. J’ai oublié de le débrancher dans la journée. Je m’éclaire donc avec une petite Tikka. En descente VTT c’est vraiment limite. Surtout que j’envoie pour assurer cette porte. Les rochers calcaires mouillés et ce manque de visibilité me coutent de belles gamelles.
J’oriente rapidement et grossièrement. J’ai peur.
Il est moins 10, la ville et la délivrance sont en vue.
Lafuma ne passeront pas sous les 22h, pour eux c’est le retour en bus.
Et pour nous? Retour en vélo et par la route !
On évite ainsi une bonne partie du dernier VTT, et on s’engage pour 50km en mode routards, mais routards de nuit…
On vient d’assurer notre classement, y a plus qu’à finir.
Crevés, on dort un peu avant de prendre la route. Ju mal installé n’arrive pas à fermer l’oeil.

Un peu après minuit, nous sommes repartis sur nos vélos. Mes 3 cycles jusqu’à là m’ont suffit, je ne souffre pas du sommeil.
En revanche Julien n’est pas bien. Il manque de s’endormir à plusieurs reprises.
Heureusement, dans la première difficulté, un col d’une dizaine de kilomètres, notre coéquipier se reveille un peu. Le rythme est régulier. Les bornes kilométriques sont des mini objectifs avec lesquels il est plaisant de jouer.
Cette portion de route est un vrai calvaire pour le confort. Garder une position fixe est en effet devenu difficile pour tout le monde.
Heureusement le haut du col arrive. Avant la descente, on propose un micro sommeil.
Je ne veux pas fermer l’oeil. Ces micros sommeils me font peur, je ne les maitrise pas et j’ai peur qu’ils m’ensuquent.

dodo les copains

La longue descente est dangereuse. Non seulement parce qu’elle est difficile, mais parce qu’à 2h du matin les troupeaux de sangliers aiment bien s’y installer… Pour Julien l’attention ne revient pas.
On s’arrête dans le petit village où se trouvait le gîte dans lequel nous avons dormi la veille du départ. Encore un micro dodo pour eux et le plein d’eau.

Le fond de vallée arrive finalement. L’équipe est dans le dur. On décide, pour des raisons de sécurité et parce que le classement est assuré, de se poser un peu. Un cycle au chaud dans le duvet.
Au reveil pas facile de repartir. Pourtant il faut en finir avec ce raid. Nous sommes dans la dernière journée, on ne peut pas s’arrêter maintenant, si proche.

Nous reprenons la route difficilement. La faible pente du nouveau col est quand même trop importante pour les organismes épuisés. Marie et Alex marchent à côté de leurs montures.
Ce col plus petit et finalement avalé à son tour. On bascule dans une nouvelle vallée, la dernière avant la balise à partir de laquelle on peut reprendre le cours de la course.
Je termine presque toute ma nourriture en guise de petit déj alors que les premiers rayons commence à lécher le haut des collines alentours.
Le moral est au plus bas. Aucun de nous ne s’imagine abandonner, mais nous sommes tous vidés et sans énergie. Il reste pourtant des dizaines de kilomètres à parcourir, l’arrivée parait lointaine.

Une dame promène ces deux chiens à vélo. On est sur une piste en terre assez raide. Pourtant elle, en salopette, nous dépose littéralement. Elle va au moins cent mille fois plus vite que nous, ouais, au moins cent mille.
Elle me rappelle un peu la mamie croisée au raid INP, ça doit être sa fille.

La balise est là, et avec elle d’autres équipes. D’autres équipes dont celle de Manu, Raid 74, à ce point 3ème de la course.
Cette rencontre nous fait énormément de bien. On discute avec le bénévole assigné à ce poste. Ce dernier nous rassure sur notre capacité à terminer l’épreuve avant le podium et la nuit. Un élan de motivation nous vivifie.
La grosse fatigue à laquelle nous faisons face réanime un peu les tensions de la veille. On ne s’y attarde pas trop.
Une fois n’est pas coutume, c’est avec Marie que nous avons décidé de l’itinéraire pour rallier le CP suivant. C’est le dernier gros dénivelé du raid.

A notre allure, on le rejoint. CP auprès duquel on retrouve à nouveau Manu et son équipe.
Elisabeth Revol, leur féminine boulet de canon s’est arrêté quelques instant au soleil.
On discute le coup avec Manu sur fond de Mont Ventoux.

Lionel Jaccoud nous offre, à moi et Ju, un morceau de sandwich au fromage frais. J’ai jamais rien mangé d’aussi bon. Merci Lionel.
Au moment de repartir, on entend les appels à l’aide du capitaine : il n’arrive pas à reveiller Elisabeth.
Tout le monde accourt auprès d’eux. Certains ont les bons reflexes. Ils ne tardent pas à appeler les secours.
Nous ne sommes d’aucune aide, il nous faut continuer et en finir. J’en ai gros sur le coeur pour eux, j’aimerais qu’ils puissent finir, si proches… Mais l’important c’est que tout le monde soit en bonne santé.
(Elisabeth sera perfusée. Grosse déshydratation. Ils seront contraints à l’abandon à ce CP, 3h et une 15aine de kilomètres avant l’arrivée. coup dur pour cette superbe équipe.)

Une dernière bonne bêtise d’orientation sur une partie délicate, le moral reste bon car le classement n’est plus en jeu.

On croise une féminine déterminée et son équipe désordonnée. Elle nous gratifie d’un magnifique « Ha ben si elle est dans les pommes c’est qu’elle a pas géré correctement sa course », et plus loin « ha ben oui ils sont tous farcis, mais ils ont pas su gérer… »
Alex est bien content qu’il n’y a pas d’avantage de caractère difficile comme celui-ci en raid.
Ju, lui, a failli lui glisser un « Ben toi t’as bien géré, t’es pas devant », mais finalement ça aurait été méchant puisqu’ils finissent loin au classement…

La dernière enfilade de sentier est très belle, avec une magnifique descente très technique, mais l’arrivée se fait vraiment languir, chaque mètre, si beau soit-il, est une torture.

Ils ont mis le four sur grill, c’est pas possible!

Il fait très chaud sur les adrets secs. Terre sèche, pins à crochets. Il doit faire facile 40°C, l’eau commence à se faire rare.
On croise un nouvel énergumène bizarre qui prend la Myo-Xp d’Alex pour une camera et qui cherche à nous refiler des Werthers, on fuit…

Les cordes finales arrivent enfin. Le temps de se changer et on nous demande de ne pas prendre le départ: il fait trop chaud, il y a trop d’attente…
Nous voilà donc avec un billet sans escale pour l’arrivée.

Sur la route finale et son soleil de plomb on est doublés par l’équipe à la féminine qui gére un max. Ils courent.
Quelques minutes plus loin, on les rattrapent, ils marchent, une cheville en moins…

Le raid se termine, comme il a commencé, les pieds dans l’eau.

ça sent la fin

 

Après la mésaventure de raid 74, nous seront finalement classés 8ème.
4ème équipe Française.

Les classements

Pour moi c’était de loin la plus dure et la plus belle course à laquelle j’ai eu l’occasion de participer.
C’était une formidable aventure humaine et sportive.

Merci à Marie, Alex et Ju pour m’avoir fait confiance. Merci d’être aller au bout de vous même, malgré l’absence de votre capitaine adoré.
Merci Adrien pour tout ton matos sans lequel, en si peu de temps, je n’aurais pu prendre le départ.

Merci à tous ceux qui ont laissé un message sur Endorphine, messages que je n’ai eu qu’une fois chez moi malheureusement.

J’ai appris à découvrir un format de course jusqu’alors inconnue.
J’ai déjà hâte d’engager ma propre équipe sur cette épreuve hors du commun, mon équipe de copains.

Place au repos maintenant… 🙂